Au tournant des XIXe et XXème siècle, le football américain est encore très loin du sport que l’on connaît aujourd’hui. Activité surtout pratiquée à l’université, le professionnalisme n’en est encore qu’à ses balbutiements. C’est un sport d’une violence impressionnante, s’apparentant surtout au rugby. Mais un rugby où les joueurs se frappent au visage, où tous les coups sont permis et où il vaut mieux ne pas se trouver tout en bas de la pile. 

En 1905, le président Roosevelt organise une rencontre entre les principales universités afin de discuter du futur du football américain, après que dix-neuf joueurs aient trouvé la mort durant cette seule année… A cette occasion, d’importantes règles sont modifiées, la principale étant que la passe vers l’avant, qui définit le sport aujourd’hui, est autorisée, et des casques en cuir font leur apparition.

C’est dans ce contexte que naît Jim Thorpe, jeune métis indien, en 1887 au cœur de l’Oklahoma, alors simplement appelé « Territoire indien ». Son père, Hiram Thorpe, est une force de la nature, mi-irlandais, mi-indien Sauk et Fox et la mère de Jim est également métisse, ayant des origines françaises. Hiram élève ses fils jumeaux, Jim et Charlie, « à l’indienne », leur apprenant à chasser et à communier avec la nature. Le nom indien de Jim est Wa Tho Huck, ce qui signifie « Sentier lumineux ».

Âgé d’à peine 9 ans, Charlie meurt brutalement en 1896, ce qui affecte profondément Jim, transformant le jeune garçon en adolescent fugueur. Son père l’envoie alors dans une école spécialisée, chargée d’intégrer les Amérindiens dans la société américaine blanche. On leur ôte leur nom et tout ce qui peut constituer leur identité indienne : cheveux, langue, habits (ils sont vêtus d’uniformes de l’armée)… Tout en leur enseignant les manières occidentales. Les enfants et adolescents sont exploités, battus et humiliés afin d’extirper de leur personnalité tout ce qui est considéré comme « sauvage » et ils sont séparés de leurs familles. En résumé, « Tuer l’indien pour sauver l’Homme », comme l’affirme le fondateur de Carlisle, Richard Henry Pratt, école qui a longtemps servi de modèle. Les enfants servaient aussi d’otages, afin de garantir une paix durable, et étaient envoyés travailler chez des fermiers blancs, pour la moitié du salaire minimum. De nombreux scandales financiers ont d’ailleurs fini par éclater, les écoles étant assez promptes à garder les recettes pour elles alors qu’elles s’étaient engagées à les redistribuer.

Révolté, Jim s’enfuit régulièrement de ces écoles, alternant retours au domicile familial, fugues et petits boulots, jusqu’à ce qu’il soit repéré par Carlisle qui a eu vent de ses capacités athlétiques. En 1904, alors qu’il a seize ans, Jim intègre donc la prestigieuse école, connue pour ses résultats sportifs au niveau national. Mais il faudra attendre un beau jour de 1907 pour qu’il commence réellement à se signaler : passant devant le stade d’athlétisme dans ses habits de ville, Jim décide de s’essayer au saut en hauteur. D’abord moqueurs, les jeunes athlètes à l’entraînement regardent, incrédules, ce type sorti de nulle part réussir à passer du premier coup la barre de 1M75. Sans le savoir, Jim vient de battre le record de l’école. Dès le lendemain, il est appelé par l’entraîneur, Pop Warner, véritable star dans le milieu de l’athlétisme et du football américain, qui intègre sur le champ le jeune indien dans son équipe d’athlétisme. La légende est en marche. Plus rien ne pourra l’arrêter…

Mais s’il excelle effectivement en athlétisme, au point de remporter deux médailles d’or aux JO de Stockholm en 1912, comme d’ailleurs dans toutes les activités sportives possibles, du base-ball à… La danse de salon (!), c’est surtout le football américain qui intéresse Jim Thorpe. D’abord réticent à l’idée que son athlète le plus prometteur ne vienne se risquer aux rigueurs d’un sport aussi physique et dangereux, Pop finit par accepter que Jim participe à un entraînement de football, tout en le mettant au défi : s’il réussit à traverser le terrain sans se faire tacler, il pourra intégrer l’équipe. Non seulement Jim réussit mais il commet l’exploit de le réitérer une seconde fois dans la foulée. Le football américain vient de se trouver sa future première star.

Car, menée par Jim Thorpe et entièrement composée de joueurs amérindiens, l’équipe de de football américain de Carlisle va vite faire parler d’elle et finira même par remporter le championnat universitaire en 1912. Un titre couronné par une victoire lors d’un match devenu lui aussi légendaire, opposant Carlisle à West Point Army, l’académie militaire des Etats-Unis, menée par un élève nommé Dwight Eisenhower… Ce fût la revanche des descendants des tribus autochtones face aux enfants des militaires que leurs pères avaient combattus durant les guerres indiennes. Ce match marque le point d’orgue de la carrière universitaire de Thorpe, remportant, comme l’année précédente, les honneurs du All America. A 25 ans, il est considéré comme le meilleur joueur de tous les temps ainsi que le meilleur athlète au monde.

C’est ce pan de l’histoire de Jim Thorpe, et par extension de celle du football américain, que Kevin Lecathelinais, lui-même enfant d’une famille unissant les deux rives de l’Atlantique (sa mère est canadienne anglophone) et passionné de Sports US, a décidé de nous raconter en bande dessinée. 

Sollicité par les éditions Delcourt dans le cadre de la collection « Coup de tête », première collection de BD entièrement consacrée aux grandes histoires du sport, Kevin a rapidement décidé d’écrire cette « ballade » footballistique de Jim. Pour la mettre en images, il s’est attaché les services d’un duo de dessinateurs détonants, issus d’un même atelier Lyonnais : le jeune Georges Chapelle, dont c’est le tout premier album complet, et le vieux routard Emmanuel Michalak, qui s’est notamment chargé du storyboard et de la mise en scène du récit. Rejoints par Mélissa Faidherbe et ses splendides couleurs, le quatuor ressuscite tout un pan de l’histoire du football américain et vient combler un manque, comme le signale la fiche Wikipédia de Jim Thorpe dans la langue de Molière : jusqu’ici, la section bibliographique consacrée à cet athlète hors-norme était désespérément vide… 

https://www.editions-delcourt.fr/bd/series/serie-jim-thorpe/album-jim-thorpe